Même si la référence n'était pas citée dans la préface, il aurait été impossible de ne pas songer à la série documentaire "Profils paysans" de Raymond DEPARDON, et plus particulièrement à son troisième et dernier volet : "La vie moderne". Et pour les lecteurs qui ne l'ont pas vu, le risque est grand que certains ne croient pas à ce qu'ils lisent ; que pour eux il est difficile d'imaginer que l'on vivait encore comme cela en ce début du 21ème siècle, au moment du décès de l'Abbé Pierre.
Franck BOUYSSE a su traduire "Profils paysans" en mots. Il a fait s'exprimer l'homme seul à sa table devant son téléviseur qui ne dit jamais rien ; celui qui prend son tracteur une fois par semaine toujours le même jour, pour descendre à l'épicerie du village acheter toujours les mêmes articles, puis aller au café boire un canon, toujours seul, avant de reprendre le chemin du retour.
Autour de lui, il a bâti une histoire, un drame à partir des secrets de ces vies familiales que l'on cache, des rancœurs que l'on traine entre voisins éloignés depuis des générations. Dans les. montagnes, les seuls visites que l'on reçoit sont celles des profiteurs et des évangélistes, qui ne reculent ni devant les éléments, ni devant le dénuement pour essayer de gagner un peu plus d'argent, un peu plus d'âmes.
Dans cette région rude, la violence affleure chaque rencontre, chaque dialogue. La méfiance est permanente et les fusils demeurent toujours à portée de main au cas où...
Grossir le ciel est tout sauf un roman "régional" et est plus qu'un roman noir. Il fait partie des romans inclassables qui photographient un lieu et une époque où peu de choses ont changées au cours des années, même si quelques chaines de télévision supplémentaires sont parvenues dans les foyers et si, parfois, le réseau téléphonique mobile est accessible au fond du champ.
Notice de l'éditeur
“ C’était une drôle de journée, une de celles qui vous font quitter l’endroit où vous étiez assis depuis toujours sans vous demander votre avis. Si vous aviez pris le temps d’attraper une carte, puis de tracer une ligne droite entre Alès et Mende, vous seriez à coup sûr passés par ce coin paumé des Cévennes. Un lieu-dit appelé Les Doges, avec deux fermes éloignées de quelques centaines de mètres, de grands espaces, des montagnes, des forêts, quelques prairies, de la neige une partie de l’année, et de la roche pour poser le tout. Il y avait aussi des couleurs qui disaient les saisons, des animaux, et puis des humains, qui tour à tour espéraient et désespéraient, comme des enfants battant le fer de leurs rêves, avec la même révolte enchâssée dans le cœur, les mêmes luttes à mener, qui font les victoires éphémères et les défaites éternelles.”
L’abbé Pierre vient de mourir. Gus ne saurait dire pourquoi la nouvelle le remue de la sorte. Il ne l’avait pourtant jamais connu, cet homme-là, catholique de surcroît, alors que Gus est protestant. Mais sans savoir pourquoi, c’était un peu comme si l’abbé faisait partie de sa famille, et elle n’est pas bien grande, la famille de Gus. En fait, il n’en a plus vraiment, à part Abel et Mars. Mais qui aurait pu raisonnablement affirmer qu’un voisin et un chien représentaient une vraie famille ? Juste mieux que rien. C’est justement près de la ferme de son voisin Abel que Gus se poste en ce froid matin de janvier avec son calibre seize à canons superposés. Il a repéré du gibier. Mais au moment de tirer, un coup de feu. Abel sans doute a eu la même idée ? Non.
Longtemps après, Gus se dira qu’il n’aurait jamais dû baisser les yeux. Il y avait cette grosse tache dans la neige. Gus va rester immobile, incapable de comprendre. La neige se colore en rouge, au fur et à mesure de sa chute. Que s’est-il passé chez Abel ?